Interview de Rick Ta Life de 25 Ta Life

 

Rick Ta Life est adorable, quelqu'un d'une gentillesse incroyable. Bien sûr a priori ce n'est pas ce qu'on se dit. La musique de 25 Ta Life est puissante, plus proche du métal que du hardcore peut-être. Lui-même est tatoué partout, et d'une franchise assez directe.

Mais une franchise en fait typiquement américaine. Rick est en fait quelqu'un de « cool », lui-même affectionne d'ailleurs particulièrement ce mot. Et quand on voit ses piercings au visage et ses dreadlocks, sa bonhommie tranquille, on s'attend à un discours tout aussi sympa.



Rick, depuis quand es-tu straight edge?



Fin 1995, début 1996.

J'étais impliqué dans pas mal de choses, le hardcore, le punk-rock, et c'était le bon moment pour moi de le devenir. D'être engagé.

Quand j'étais plus jeune, j'ai connu la drogue, j'ai fait plein de choses dingues. J'étais vraiment là dedans, et j'ai fait la part des choses. Je voulais être capable d'être là pour mon groupe, pour mon label. Pour faire ce que je fais, c'est ce que j'avais besoin de faire. Vivre ma vie comme cela. Straight.

A la base, straight edge, cela veut dire le respect de soi.

Essayer de montrer aux autres ce que signifie de se respecter soi-même.

Nous avons commencé Rick Ta Life fin 1992, pour jouer de plus en plus en 1993.

A cette époque, je faisais toujours la fête, mais après cela de plus en plus de gens portaient leur attention sur 25 Ta Life.

Pas uniquement pour eux mais pour moi aussi, j'ai voulu devenir une personne plus forte. Ne plus être drogué, hors de contrôle.

Prendre plus le contrôle de ma vie, au quotidien. Le moment était le bon, avec des groupes straight edge comme Minor Threat, SSD, Youth Of Today, Gorilla Biscuits, Side By Side, Judge...

Je voyais les jeunes avec des X sur les mains, mais je ne me voyais pas vraiment m'impliquer en tant que tel. Après cela, au milieu des années 1990, on a commencé à jouer de plus en plus et s'est posé la question du message.

Mais en plus du Harcore, 25 Ta Life a été influencé par le Grindcore aussi il me semble? Voire le Hip Hop, tu apprécies le Hip Hop?

Oui oui, nous sommes très « mixed up ».

J'aime toutes sortes de musique, dpuis le Grindcore, ou encore le hardcore, traditionnel, old school... J'aime même le nouveau hardcore influencé par le métal...

Le groupe a commencé fin 1992, j'ai 34 ans maintenant, j'ai grandi avec plein de groupes différents, des trucs raps comme Run DMC, EPMD, Public Enemy, ou des groupes comme Slayer, du métal comme Celtic Frost, Kreator...

Ou des groupes straight edge que je dois mentionner, comme Chain of Strength, 7 seconds, Youth of Today, des groupes comme ceux-là.

Il y a quelque chose que je trouve surprenant.

Pendant les concerts tu salues Warzone, Agnostic Front... Mais en tant qu'européen, quand je pense à Agnostic Front, Warzone ou Biohazard, j'en ai une image plutôt « fermée ».

Je ne pense pas que les gens de Warzone soient ouverts au Hip Hop.

Oui, ils ont toujours été plus dans la question de l'unité entre métalleux, straight edge, punk rockers, skinheads.

Je vois leur message comme une réponse, comme nous on le fait maintenant.

Quand nous avons grandi dans le New Jersey, New York, tout était mélangé. Il y avait plein de groupes différents, avec plein de styles différents à la radio, on était ouvert à énormément de choses.

C'est quoi alors cette histoire de « crew »?

Judge a sa fameuse chanson « New York Crew », qu'est-ce que le « crew » exactement?

En Europe on a tendance à penser que le crew correspond à une attitude machiste, « je suis avec mon crew et on est les plus forts ».

Non, ce n'est pas ça.

C'est juste, si tu vas à un concert, vous êtes quelques uns à y aller, voilà c'est un crew.

Vous êtes en train d'y aller, vous êtes quatre à aller au concert, c'est un crew!

Quand j'étais plus jeune et que j'allais aux concerts, je ne connaissais pas grand monde, j'étais avec mes amis et c'était mon petit crew.

C'est quelque chose d'ouvert alors. Pas un truc de combat...

Non, ce n'est pas un truc de combat.

Il y a les groups, les amis, qui vont ensemble aux concerts, tu vois ce que je veux dire, qui se connaissent et vont aux concerts depuis longtemps, ils connaissent les groupes et se connaissent entre eux, ouverts les uns aux autres, chacun est cool avec les autres.

On a plein d'amis, le crew est dans le monde entier, man, partout. La famille hardcore, c'est mon crew.

Je dois dire que tu fais de l'impression.

Tu as des dreadlocks, des piercings sur le visage. Au concert tu jours avec des gens ou des groupes qui boivent de la bière ou fument, mais ce n'est pas un problème pour toi, car tu veux vraiment montrer aux gens ce que c'est d'être straight edge.

Pas besoin de se battre? Tu montres juste le lifestyle, le fait que c'est mieux.

Que penses-tu alors de l'attitude « straight edge in your face »?

Je pense que tout ce côté militant a quelque chose d'idiot, parce que tu ne peux pas imposer ton point de vue aux autres.

Tu vois ce que je veux dire, c'est comme pour moi.

Quand j'ai été prêt à accepter cela pour ma vie, comme quoi c'était ce que je voulais, c'était cool.

Mais si tu es straight edge ou végétarien, tu dois l'être car tu considères vraiment que c'est ce que tu veux.

Tu ne peux pas, je veux dire, je ne choisis pas mes amis selon qu'ils boivent, ou pas. Mes amis sont mes amis. Je juge les individus sur une base individuelle. Le côté militant a un aspect qui piège, c'est un peu une attitude à la Hitler.

Si quelqu'un choisit le straight edge, c'est bien. En fait, les personnes qui prêchent de manière la plus dure sont toujours les premiers à abandonner.

Que penses-tu des gens, comme Refused a pu le faire, qui tentent de connecter le mouvement straight edge au changement collectif?

Le mouvement straight edge en Suède s'est formé en se liant au véganisme, aux squatters.

Je pense qu'il y a toutes sortes de situations, avec de la place pour des catégories de gens très différents, qui vivent le lifestyle, la musique.

En Europe c'est certainement plus underground, aux USA peut-être plus commercial aussi, avec Victory Records. Je pense que c'est pas mal, l'underground a avancé, éduqué des gens.

Que penses-tu alors de gens non straight edge mais engagés, comme LeftöverCrack, Anti-Flag? Sont-ils trop sectaires pour toi?

Chacun a son message et essaie de le faire connaître.

Nous avons commencé 25 Ta Life il y a 12 ans et nous n'avons jamais eu besoin d'un gros label.

Pour moi, les gros labels, les corporations, ce sont les ennemis... enfin c'est pour cela que nous sommes dans un groupe, pour aller contre ça.

Tu ne peux pas être dans un groupe comme cela et sur un gros label. Je ne le comprends pas.

Le Hardcore, le punk-rock, c'est aller contre ça, faire ses propres choses.

Punk-rock et hardcore sont pour toi la même chose?

Le hardcore vient du punk. Pour moi Minor Threat, Exploited et GBH, c'est la même chose.

Waouh. Discharged aussi alors?

Black Flag... Tout ça c'est la même chose. Punk-rock, Skinhead, Hardcore...

Mais il me semble que les scènes hardcore et punk-rock sont très différentes aux USA?

Oui, très différentes.

Toi, tu veux l'unité?

Oui. L'autre jour on a fait un concert avec des groupes comme Last Resort, Anti-Nowhere League... A la maison ce n'est pas ça...

Peut-être le Holidays in the sun... Mais ce n'est pas ça... C'est très commercial... Cela fait partie des tournées mondiales... Il y en a d'autres...

Avec parfois plein de groupes hardcore dedans... Throwdown, Bleeding Through, Hatebreed...

Mais je ne sais pas... Ces groupes sont censés être undergrounds...

Je pense qu'ils veulent être grands. Pour moi c'est cool, mais on a toujours refusé les offres des labels.

Si on faisait cela, ça serait la mort du groupe dans tous les cas... Cela ne marcherait pas...

J'aime beaucoup les groupes de ce festival, mais dans quelques années ils ne seront plus là...

Il est possible de rester sur un petit label. D'exister, d'avoir une grande tradition, de vendre beaucoup de cds...

Il y a plein de grands groupes qui l'on fait, man. MDC, Oi Polloi...

Tu peux exister. Nous on existe depuis douze années.

Victory, Roadrunner, Epitaph, ils voulaient signer 25 Ta Life, nous avons dit: « non merci ».

Je n'ai pas besoin d'être sur un label pour avoir mon groupe. Là, avec Venus Records, nous allons partout en tournée...

As-tu été influencé par CRASS?

J'ai grandi avec le Do It Yourself.

Je sais que plein de gens se moquent de ce principe, mais pour moi c'est important.

Personne n'était interessé par la musique punk-rock. Ce n'est qu'avec Greenday, Rancid... Qu'ils ont vu qu'il y avait plein d'argent à faire.

Maintenant ces gens sont interessés par cette musique, car ils pensent faire de l'argent, mais ils se moquent du message, des gens dans les groupes, qui sont là depuis des années...

Nous nous jouons avec des groupes, on vient ensemble avec le vanne...

C'est nous. Ils me font rire avec le hardcore sur de gros labels, qui débarquent avec de supers camions...

Comparé, nous sommes quelque chose de petit. Nous faisons cela depuis longtemps.

On a pas cette attitude: « on est tel groupe ».

Ce genre de choses me fait rire, car le hardcore c'est l'anti-rockstar system.

Mais eux se la jouent vraiment « nous sommes tel groupe, nous allons devenir très grands »...

C'est cool, mais quand dans quelques années le groupe n'est plus à la mode, et que tu crois que tu ne peux plus continuer, car tu n'es plus une superstar...

Pour moi le hardcore c'est l'anti-rockstar, tu ne veux pas devenir une rockstar, tu le fais car tu crois au lifestyle, au message...

Si ce n'est pas cela alors tu n'existes pas. Certains groupes existent depuis longtemps...

Ces groupes méritent le respect.

Quand j'entends cela, le fait d'essayer de rester intégre, je pense à Ray Cappo, de Youth of Today à Shelter.

J'entends pas mal de monde le critiquer, mais ces gens n'ont aucune de ce que Youth of Today a fait en poussant le message straight edge.

Lorsque certains savaient que vous étiez straight edge, ils voulaient se bagarrer avec vous.

« Fuck you, fuck straight edge ». Lorsqu'il n'y avait pas encore de straight et que vous passez en concert...

L'autre jour j'étais inquiet, tout le monde était saoul au concert...

Mais ça a été cool, ils acceptent 25 Ta Life.



Comment penses-tu que le mouvement straight edge, mais je ne sais pas si je peux parler de mouvement straight edge...

Si, tu peux, il existe, c'est clair.

Comment penses-tu qu'on peut changer notre image « puritaine »?

Les gens pensent que l'on ne s'amuse pas, qu'on est ennuyeux, qu'on déteste tout ce qui est amusant...

Qu'on veut attaquer chaque personne buvant de l'alcool...

Il y a un maximum de méconnaissance.

Je pense que beaucoup de gens ne savent pas s'amuser à part en picolant.

Mes amis boivent là où je sors, où j'ai grandi, je fais ce que je fais normalement.

Je m'amuse, c'est juste que je n'ai pas besoin de boire.

Je m'éclate, je connais plein de jeunes straight qui sont pour tout le monde la personne la plus fun, la plus marrante.

Désormais beaucoup de straight edge ont la trentaine aussi, ce n'est pas qu'un mouvement de jeunes de moins de 21 ans.

Je pense que la question c'est aussi celle du respect de soi.

On veut prendre soin de soi.

Mon père, par exemple, j'ai vu ce que l'alcool a fait de lui, alors je veux prendre soin de moi.

Je veux être sûr que ceux qui viennent aux concerts voient quelqu'un qui assure autant qu'eux.

Mais comment vois-tu les relations entre les straight edge et ceux/celles qui ne le sont pas? Au quotidien?

C'est certainement difficile. Je suis sûr qu'il y a plein de relations comme cela.

Aux USA par exemple il est courant que les femmes ne boivent pas, au contraire du mari qui boit beaucoup.

L'alcool est populaire aux USA. Je pense que c'est une relation non équitable, avec une des deux personnes dans un autre monde.

Que penses-tu du dernier X? Peut-on être straight edge et avoir un « one night stand »?

Tout est dans le respect de soi.

Je ne suis pas certain de la signification que cela aurait.

Etre straight c'est vouloir quelque chose de spécial, s'occuper de l'autre, avoir des sentiments... Ou sinon cela devient comme le reste.

J'ai été personnellement dans une relation pendant cinq années avec une fille qui était totalement straight edge, mais à 23 ans elle a totalement laissé tombé.

Cela a été dur pour moi, parce que pour tout le monde c'était LA fille straight edge, elle signifiait beaucoup pour moi, et je croyais tout ce qu'elle disait.

Et là une fois je revenais d'une tournée et un copain me raconte qu'il l'a vu et qu'elle a abandonné le edge.

Je lui ai demandé, elle m'a dit qu'on m'avait menti, puis finalement elle me l'a dit. Elle était plus âgée et voulait essayer des choses différentes. Cela a été dur.

Ca a été une leçon, qui m'a rendu plus fort.

Il est rare que des filles viennent danser dans le pit.

Ne penses-tu pas qu'il en faudrait plus pour oser franchir le pas?

Cela dépend d'elles. Elles doivent aller de l'avant.

Je peux être d'accord et les soutenir, mais je ne peux pas me battre à leur place. Je pense pourtant qu'il y a plein de femmes impliquées.

Mais la scène hardcore est dominée par les hommes, c'est une scène très agressive. Il y a plus de femmes dans le punk-rock.

Même si en fait, le hardcore, le punk, l'émo.... c'est la même chose.

Le hardcore va continuer?

Oui, c'est certain. Cela fait déjà plus de 20 ans.

Tant qu'il y a des gens qui sont encore là et qui y croient, mettant en avant le bon message.

Dans les chansons que nous jouons, nous parlons des groupes qui nous ont influencé, comme 7 seconds, on parle du passé, pour impliquer.

J'ai toujours pensé que la chanson « The Message » de Grand Master Flash, le premier grand classique du Hip Hop, était un modèle de chanson straight edge, avec sa description de la misère du ghetto et sa volonté de refus des drogues.

« The message », le message, que l'on veut faire passer.

Pour moi, la musique, c'est l'éducation. J'ai tellement appris par le punk et le hardcore.

J'ai appris à l'école, mais appris à mentir; le hardcore parle de la réalité, de la vie, de la vie comme elle est.

Et la vie est froide parfois, la vie est très difficile parfois.

Il faut se battre pour survivre, tu ne peux pas abandonner, perdre l'espoir.


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